Cet été, j’ai été particulièrement sensible au livre de Maggie Jackson sur l’incertitude

« Uncertain: The Wisdom and Wonder of Being Unsure » (Incertain : la sagesse et l’émerveillement de l’incertitude pas encore traduit en français)de Maggie Jackson — Un petit bijou qui est tombé entre mes mains au moment même où je me sentais à la fois fascinée et ébranlée par l’incertitude.
Dans un monde où les rapports politiques changent d’heure en heure et où chaque jour apporte son lot de nouvelles inquiétantes, ce livre est arrivé comme un souffle de lucidité.

Quand l’incertitude devient « éveil »

Maggie Jackson invite à reconsidérer nos réactions face à l’incertitude non plus comme une ennemie, mais comme une alliée — une forme de présence éveillée. Contrairement à la tendance historique à  « l’élimination de l’incertitude » via le rationalisme ou les modèles mathématiques, elle souligne que les sciences humaines explorent depuis peu notre relation intérieure à l’incertitude — cette « incertitude humaine » en tant que telle.

Elle fait une distinction essentielle entre peur et incertitude. La peur restreint ; l’incertitude, elle, peut élargir l’esprit. Ce n’est pas une attitude passive, la preuve ? Lorsqu’il y a de la  curiosité, le monde nous paraît ouvert, non comme une menace, mais comme un terrain de découvertes.

Ce que dit Albert Moukheiber : réhabiliter l’incertitude

Du côté francophone, le neuroscientifique Albert Moukheiber facebook. va dans le même sens : « réhabiliter l’incertitude », c’est agir avec plus de calme, de lucidité, et moins dans la précipitation anxieuse. Plutôt que de dramatiser tout ce qui est incertain, il propose de l’accueillir comme une zone normale, loin des scénarios catastrophes.

La pleine conscience comme outil d’accueil de l’incertitude

La pratique de la pleine conscience nous propose plusieurs portes d’entrée pour apprivoiser l’incertitude au quotidien :

    Observer sans juger
Plutôt que de fuir ou d’occulter l’incertitude, la pleine conscience encourage à l’observer : qu’est-ce que je ressens quand je me demande « jusqu’à quand cette canicule va durer ?» ou « où que va-t-il se passer avec l’Ukraine ?» ou « vais-je guérir » ? Sans interpréter. Juste noter.

   Différencier émotion et réalité
Avec la pleine conscience, on apprend à distinguer la montée de l’anxiété (pensées catastrophiques sur un avenir incertain, sensations physiques désagréables) du simple fait que rien n’est encore défini — ce qui est, en soi, neutre. En prenant conscience si mon attention est sur l’espace entre la question et la réponse (l’incertitude) ou si je suis en train d’alimenter une pensée au sujet d’une réponse possible négative (l’anxiété).

   Cultiver une curiosité éveillée
L’incertitude n’est pas un état passif. Il est possible de transformer l’incertitude en question ouverte : « Puisque je ne sais pas, quels possibles s’offrent à moi ? ». Comme l’écrit Maggie Jackson, cette ouverture est une occasion d’apprendre, de créer, de s’adapter.

   S’ancrer dans le présent
La pleine conscience invite à revenir à l’instant présent. A rester dans cet espace entre la question et la réponse et à s’y détendre.  Même si le climat politique international oscille, je peux revenir à ma respiration, à ce qui est là, à un petit apport de fraîcheur malgré la chaleur — et repérer ce qui est précieusement vivant, maintenant.

   Accepter de ne pas savoir, de ne pas avoir le contrôle
Une grande partie de notre anxiété vient de la croyance que nous devrions tout prévoir, tout anticiper. Or, la vie nous échappe en grande partie : je ne décide pas de la météo, ni de l’évolution des crises internationales, ou de la santé de mes proches. Pratiquer la pleine conscience avec l’incertitude, c’est s’entraîner à se dire : « Je ne sais pas, c’est ainsi et c’est OK. » Reconnaître cette limite, plutôt que la combattre, libère une énergie précieuse.

   Sortir de ses habitudes pour s’entraîner à l’incertitude
Pour augmenter son seuil de tolérance dans cet espace de non savoir, on peut apprivoiser l’incertitude dans de petites expériences quotidiennes. Par exemple, ne pas  toujours commander son plat favori au restaurant et oser en choisir un autre. Ou bien prendre un autre chemin pour rentrer chez soi. Ou encore engager une conversation avec une personne que l’on n’aurait pas spontanément abordée. Ces petites ouvertures créent une familiarité avec l’inconnu et élargissent notre zone de confort.

La pleine conscience n’élimine pas l’incertitude, mais elle nous apprend à la porter avec clarté, présence et curiosité. Citant Maggie Jackson, la pleine conscience face à l’incertitude est un rafraichissement du regard, une réouverture à un espace de possibilités. Comme le rappelle aussi Albert Moukheiber, réhabiliter l’incertitude, paradoxalement peut rassurer.

C’est peut-être cela, la sagesse contemporaine : ne pas chercher à échapper à l’incertitude, mais s’entraîner à marcher avec elle.